Prof. dr. ir. Bram Vanderborght sur la robotique
Dans cet article d'opinion, Prof. dr. ir. Bram Vanderborght plaide pour une stratégie partant des forces intrinsèques greffées sur les défis de l’avenir.
Le prof. dr. ir. Bram Vanderborght (°1980) a terminé ses études d’ingénieur mécanique à la VUB en 2003 avec la plus grande distinction. Depuis lors, il y est chercheur. En mai 2007, il a passé son doctorat en ingénierie mécanique appliquée. Puis il a travaillé sur les robots à Tsukuba (Japon) et Gênes (Italie). Depuis octobre 2009, Vanderborght est professeur à la VUB. Il enseigne la mécatronique et dirige un projet de robotique. Par ailleurs, Vanderborght est aussi chercheur chez Flanders Make.
Necessite d’une industrie manufacturiere forte
Une solide industrie manufacturière est essentielle pour maintenir le niveau de prospérité en Flandre. Ce secteur assure la production: la fabrication de produits. L’industrie crée de ‘véritables jobs’ et est un pilier pour les autres industries et secteurs. Malgré le coût salarial élevé, l’industrie manufacturière représente encore 20% de l’emploi en Flandre, et ceci est également le pourcentage moyen en Europe. Bien que ce chiffre décline, on doit investir en permanence dans ce secteur étant donné qu’il crée en complément deux à cinq emplois (emploi indirect). L’emploi est le principal paramètre pour la prospérité. De plus, la production stimule la recherche et le développement, et la demande de services. Cependant, la perte de jobs dans e.a. l’industrie automobile indique que l’industrie manufacturière, le moteur de notre prospérité, est très malade. Ceci s’exprime par une économie déclinante et une diminution de la prospérité.
Analyse forces et faiblesses
Dans les années 1950, l’industrie du charbon en Wallonie a connu une crise profonde. L’exploitation s’est déplacée vers les pays à bas salaires et la conversion industrielle a été entravée par une politique gouvernementale défensive axée sur la protection des entreprises indigentes. Les mines de charbon ont aussi fermé au Limbourg, si bien que la Belgique produit à peine des matières premières. Après la guerre, la Flandre a toutefois connu une forte croissance. Stimulée par l’intégration européenne, la localisation centrale, la bonne infrastructure et la jeune population, elle a su attirer des secteurs intensifs en capitaux et en connaissances, comme les industries chimique et pharmaceutique.
Mais dans les années 1990, la globalisation s’est accélérée. Les coûts salariaux élevés ont contraint les entrepreneurs flamands à accroître la productivité. Le coût salarial élevé reste un point névralgique pour la plupart des entreprises et de nombreuses entreprises laissent la production à des pays comme la Chine. Les faiblesses sont donc les rares matières premières et les coûts salariaux élevés. Nos forces: les ‘brains’ associés à la créativité. L’enseignement et la recherche sont donc des aspects dans lesquels nous devons continuer d’investir pour attirer des économies intensives en connaissances.
Viable avec le coût salarial?
Une industrie est-elle viable dans une région où le plus gros obstacle n’est pas la productivité mais bien les coûts salariaux énormes? J’en suis convaincu. Mieux encore, on peut faire de nécessité vertu. Des entreprises comme Apple commencent à voir que la production dans les pays à bas salaires est peu durable et qu’ils cèdent la propriété intellectuelle à ces pays. De plus, les entreprises peuvent se rapprocher du marché client en produisant dans leur pays et réagir plus rapidement aux nouvelles tendances.
Robotique
Pour concurrencer les pays à bas salaires, des méthodes innovantes comme la robotique sont indispensables. Les robots ont surtout exercé les jobs ‘3D’ ces cinquante dernières années: dangerous, dirty et dull. De tels robots sont solides et précis mais dès lors aussi dangereux et ils devaient travailler à l’écart des personnes. Ils remplacent donc le travail humain. Contrairement à ce que beaucoup pensent, le travail manuel se remplace en fait très difficilement par des robots. Ce que des personnes estiment facile et trivial est difficile pour les robots et inversement: le paradoxe de Moravec. Un enfant sait faire ses lacets, ce qui reste archidifficile pour un robot, tandis que le maître d’échecs Kasparov a été battu depuis longtemps par un ordinateur. La dextérité et la créativité de l’homme gardent bien des longueurs d’avance sur le travail robotisé. Pour de grands volumes, l’achat d’un robot et sa programmation coûteuse sont possibles mais la Flandre fabrique également beaucoup en petits volumes. La robotique classique y est donc peu rentable. A cette fin a été développée une nouvelle génération de coworkers. Cette tendance a démarré avec le robot Baxter créé par le professeur du MIT, Rodney Brooks: plus de robot industriel qui opère dans une cage de sécurité: on travaille en premier sur la sécurité dans le design, afin que le robot puisse travailler en sécurité entre et surtout avec les personnes à la chaîne. Le but est de rendre superflue la programmation compliquée et d’apprendre au robot de nouvelles manipulations par la démonstration intuitive des manipulations exigées. Avec un coût horaire de € 2,65 par heure, ces cobots relèvent la concurrence directe des ouvriers chinois. De plus, cela ouvre avec le faible coût de revient la possibilité que les PME peuvent utiliser ce type de robots. Kuka, ABB, Universal Robots, Fanuc, Yaskawa et Comau ont aussi commercialisé de tels robots. La recherche reste toutefois nécessaire pour combiner les forces des robots (adaptés au travail monotone, répétitif, dangereux, lourd et précis) avec celles des personnes (créativité, résolution de problèmes) pour les faire travailler en symbiose, afin d’augmenter la productivité et faire venir ici plus de jobs de meilleure qualité. Les gens ne doivent pas craindre de perdre leur emploi à cause des robots; ils créent des jobs, meilleurs.
Les défis de l’avenir
Pour voir les investissements dans l’industrie du futur, on ne peut pas ignorer les défis sociaux du futur. La population flamande vieillit très vite. De plus, l’espérance de vie augmente fortement, ce qui accentue le besoin d’assistance/ soins. Pour maintenir la même prospérité, la population active devra travailler plus longtemps et plus. De surcroît, les personnes capables de soigner les personnes plus âgées seront moins nombreuses. Ce sont d’énormes défis démographiques mais s’ils sont pris en charge par une bonne politique industrielle, ils peuvent être convertis en opportunités pour créer de nouveaux marchés économiques et trouver des solutions innovantes. L’exemple-type est le Japon, où l’on veut par exemple soutenir les travailleurs plus âgés dans l’exécution du travail par une technologie robotique d’assistance. La technologie robotique d’assistance comme les exosquelettes doit aussi diminuer les coûts de santé.
force de la technologie
Dans le rapport McKinsey ‘Disruptive technologies: Advances that will transform life, business, and the global economy’ figurent une analyse de la façon dont la politique et la société doivent se préparer à la nouvelle technologie et une énumération de douze technologies pionnières qui transformeront notre vie et notre économie. En cinquième place, on trouve les ‘advanced robotics’ avec des applications dans l’industrie manufacturière, pour assister et aider les personnes âgées dans les tâches domestiques. McKinsey argumente que ces technologies ont le potentiel de fournir des milliards de consommateurs, des centaines de millions de jobs et des trillions de dollars d’activité économique. Ils s’attendent à ce que le marché des robots aura un impact en 2025 de 1,7 à 4,5 trillions, nettement plus que le marché du PC actuel. Selon The US Robotics Roadmap des universités américaines leader, la robotique sera tout aussi interventionniste que l’internet. La Flandre laissera-t-elle ces technologies lui passer sous le nez? Si les robots feront partie des ‘factories of the future’, ils seront aussi les ‘products of the future’. Etant donné que nous avons les marchés, nous ne pouvons pas être simple consommateur mais nous devons surtout être producteur.
Robots, malédiction ou bénédiction
D’après une étude d’Oxford, 48% des jobs actuels seraient remplacés par des robots et des ordinateurs dans les prochaines décennies. Dans cette opinion, la robotique paraît être une malédiction ... mais notre marché du travail a aussi évolué avec les années. Là où des jobs ont disparu (p.ex. opérateurs téléphoniques), beaucoup ont été ajoutés en net (p.ex. smartphone business) et des job ont été adaptés. Les voitures autonomes remplaceront à terme les chauffeurs mais en conséquence, le nombre d’accidents diminue drastiquement et le transport devient ‘plus écologique’. Chez Amazon, les robots Kiva facilitent les tâches des order pickers en amenant les rayonnages vers eux. Les robots peuvent veiller à accroître l’attrait des métiers comme dans la construction (robots d’impression 3D) ou l’agriculture (traire les vaches). Comme le travail manuel est si difficile à robotiser, mais que les ordinateurs sont bons pour traiter de nombreux nombres, différents jobs ‘white collar’ devront aussi s’adapter.
Faire d’une malédiction une bénédiction
Par une bonne politique, nous devons transformer la malédiction en bénédiction. Ainsi, nous pouvons continuer de soigner la population vieillissante et supporter les coûts de santé afférents. En fabriquant les produits en Belgique à l’aide de robots et en ramenant la production des pays à bas salaires, nous pouvons en outre produire de façon durable avec des jobs plus nombreux, plus sains et meilleurs. Pour faire de cette malédiction une bénédiction, nous devons continuer d’investir comme société dans la recherche innovante et veiller à ce que ces nouveaux produits ne restent pas cantonnés dans les universités mais trouvent le chemin de la société. L’utilisation de l’innovation technologique pour plus de prospérité, de bien-être et de progrès doit aller de pair avec des aspects éthiques tels que le respect de la vie privée et la sécurité. La législation doit suivre le développement technologique, afin que l’innovation puisse se déployer avec suffisamment de sécurité juridique, mais sans bafouer les droits fondamentaux des citoyens. Par ailleurs, notre enseignement doit viser à former les jeunes et à recycler les travailleurs dans ces aspects où les robots ne sont pas bons: la collaboration créative et STEM (science, technology, engineering et math). Les compétences numériques sont aussi essentielles pour les jobs du futur. De plus, nous devons, si les robots accaparent plus de jobs, réfléchir à la façon de redistribuer cette prospérité dans la société.
Conclusion
Depuis le lancement du premier plan Marshall en 2005, les dépenses R&D des entreprises wallonnes ont considérablement augmenté et les efforts des entreprises excèdent ceux des flamandes. En s’écartant de l’ancienne piste qui consiste à continuer de soutenir les industries traditionnelles mais en se concentrant sur de nouveaux secteurs prometteurs, elles parviennent à attirer des investissements dans des pôles de croissance. La Flandre devra également opérer des choix. De plus, cela doit devenir un plan global. Avec une structure de triple hélice des universités, pouvoirs publics et industrie, la Flandre doit relever les défis sociaux et veiller à renforcer le meilleur de l’industrie flamande et faire naître de nouvelles industries. Les universités flamandes ont les connaissances mais les chercheurs ne parviennent pas assez à acheminer ces connaissances vers le marché. Cet entrepreneuriat reste un point de travail et doit combler les fossés crées par les producteurs ‘traditionnels’ en disparition. La robotique a la capacité de piloter de nouveaux marchés économiques et de proposer des solutions aux problèmes sociaux.

